Être un Père pour moi, construire le Père en moi.
Auteur: Damien Kappelhoff, Juin 2015
Avertissement
Les écrits qui suivent sont le fruit des perceptions personnelles de l’auteur. Son unique but est de partager une démarche de recherche personnelle. Les interprétations du lecteur lui sont propres et ne peuvent en aucune mesure présager des intentions de l’auteur.
Être un Père pour moi, construire le Père en moi
La première fois que j’entends ces mots, cela s’associe immédiatement avec des notions de masculinité telles que l’autorité, la capacité à trancher sans états d’âme, l’aptitude à pénétrer dans la vie. Je n’ai pas vraiment vu ce que la féminité pouvait bien faire là !
Et pourquoi pas « être une Mère pour moi » ? Après tout, on les oppose souvent. Et si au lieu de cette opposition, ils étaient envisagés comme « deux faces d’une même médaille » ? Une figure double, alliant masculinité et féminité. En quoi cette notion de « Père pour moi » engloberait-elle ces deux pôles Père et Mère ?
Comme point de départ, je me propose de partir d’une situation concrète que je prête au Père : quand une action est à mener, que quelque chose est à faire, c’est fait sans délai, le Père intérieur tranche sans tergiverser. Là, j’entends bien une action de la masculinité en moi.
Qu’est-ce qui me permet d’arriver à trancher ? À faire un choix ? Je vois deux conditions à réunir : la première est qu’il faut une prise de conscience de la nécessité de trancher. La deuxième est la décision de trancher.
La prise de conscience est parfois proposée comme une bulle qui monte du fond de bon sens de l’être (inconscient profond). Elle remonte vers la surface du conscient. Mais dans quel état arrive-t-elle à la surface ? Elle passe en effet au travers des différents filtres de perception (les filtres surmoïques). Si tant est qu’elle monte au conscient, vais-je prêter l’oreille ? Entendre l’écho du fond qui me propose un changement positif, constructif pour moi ? Cette communication intérieure va-t-elle se faire et le message va-t-il être traité en accord avec son importance ?
Lorsque j’entends qu’il y a une action à mener, cela s’accompagne d’un vécu particulier. Pour moi, il me semble que je goûte fugacement (la petite marchande d’allumettes) à l’état d’être intérieur que j’aurais suite à ce changement. Ce vécu a une fonction de motivation, de déclencheur, par anticipation, je vais me vivre comme si le changement était fait.
Entendre à Décider à Agir
C’est bien beau d’entendre l’action à mener pour aller mieux, mais si je ne bouge pas…Pour avancer, il y a donc une décision de me mettre en mouvement.
L’être peut entendre qu’il y ait un changement à faire, mais tant que la décision de lâcher les bénéfices secondaires (mus par l’illusion de l’emprise) n’est pas effective, rien ne changera.
Pendant ce temps, les années passent et le bagage qui pourrait lui être utile pour gagner sa vie est délaissé. Il y a donc une perte qui est totalement disproportionnée par rapport à son bénéfice secondaire. Son plaisir passe par l’emprise qu’il suppose avoir sur « son monde ». Plus ou moins consciemment, il peut croire manipuler son entourage. Le point de mire du surmoi de l’être est donc à ce moment la volonté d’emprise.
On peut aussi envisager cela sous l’angle de l’effort : l’investissement ne semble demander aucun effort et pourtant si je suis mis devant la réalité de celui-ci, la connexion, le lien avec les attentes d’emprise sont souvent refusés. Celui-ci est même souvent nié au point qu’il reste caché à l’être (par lui-même, il ne veut pas le voir).
En outre, il me semble que la supposée absence d’effort mentionnée plus haut est une illusion : refuser de passer à l’action quand j’ai compris quelque chose m’apparaît un peu comme si j’étais sur l’autoroute au volant de ma voiture et qu’en même temps, je tirais avec force sur le frein à main. J’avance cela sur le constat du regain d’énergie, durable, qui suit un passage à l’action pour moi (c.-à-d. en accord avec mes compréhensions). Il faut une énergie considérable pour contrarier l’homéostasie.
Pour moi, il est alors très clair que s’il y a un goulot d’étranglement[1], ce n’est pas l’action, mais la décision. On est dans le domaine de l’analité (l’anneau d’étranglement).
La conséquence immédiate et concrète est que je reste sur place, dans mes vieilles récurrences mortifères. De plus, l’énergie mise à disposition par la compréhension et destinée au changement est bloquée. Elle doit donc trouver une autre voie d’expression. Cela pourra être dans une somatisation[2]. Ce déséquilibre au niveau du corps ou sur d’autres plans peut à plus ou moins long terme avoir des conséquences fatales.
Compréhension à Décision/Acceptation à Action
Ainsi, l’action requiert en moi (une « étincelle de conscience ») et une décision. Mais comment entendre en moi ? Comment comprendre ce que j’ai à changer ?
Il y a une évidence pour moi : si je n’observe pas, il n’y a aucune chance que je comprenne ce qui se joue en moi.
L’observation crée de fait une distance face aux évènements en même temps qu’un terrain propice où les associations intuitives vont pouvoir se faire (lucidité sur ce que je vis). Pour moi, l’acquisition de ce calme intérieur est un travail au quotidien. Cela passe par des relevés à l’écrit de mes vécus, par un entraînement à ressentir mon corps.
Cet effort de collecte, d’attention contribue à construire ce socle, cet ancrage dans le concret et le présent. Par ce travail de construction, je perçois progressivement mes vrais besoins. L’écoute intérieure, les désirs de changement prennent alors le relais et proposent les motivations pour adapter ma conduite.
Cette aptitude à l’automotivation est naturelle. Elle fonctionne harmonieusement lorsque sont présents : l’observation, le calme intérieur, la récupération du corps.
Si je reviens à mon propos, cette séquence fait apparaître que si au départ, il m’apparaissait que le Père en moi était essentiellement fait de masculinité, alors après cet exemple, le propos est clairement à nuancer. En effet, la capacité d’accueil, à la neutralité, l’aptitude à l’écoute, à la communication sont sans conteste des attributs de la féminité profonde. La capacité d’action est donc intimement liée à l’ancrage, aux fondations et à la motivation, à cette féminité de l’être.
Il a été évoqué la capacité du Père à passer à l’action lorsque c’est nécessaire. Pour moi, dans sa façon de s’engager dans l’action, il n’y a aucune réserve, aucune demi-mesure. Il m’est évident que l’action est menée, sans état d’âme, avec les tripes. D’ailleurs, la question ne se pose même pas ! Ce n’est là aussi possible que si je suis au clair avec mes besoins, avec mes désirs. Sinon, comment m’engager dans l’action à fond, « sans peur et sans reproche » ?
Je ne sais pas non plus ce que l’action va ouvrir comme possibilités (exemple : rencontre par échos). Autrement dit, l’absence d’emprise sur le résultat de l’action est progressivement intégrée. Ainsi, progressivement, la projection devient plus consciente, la proposition binaire « échec/succès » s’estompe, car elle correspond à une vision extrêmement restreinte du mental.
Et ce n’est pas tout : une fois l’action engagée, pour que l’effort puisse se maintenir, ces mêmes aptitudes de féminité profondes doivent être sollicitées. Sont aussi nécessaires, entre autres, la persévérance, l’adaptabilité, le « pas de la Lotta ».
Si je prends un autre domaine : celui des limites. Le Père entend ce qu’il a à faire ou pas, il ne va donc pas au-delà des limites de ses compréhensions, de ce qu’il a expérimenté. Il pose alors une limite aux désirs de mon surmoi. Quelques exemples de cadrage : freiner/stopper mon imaginaire négatif, ne pas aller au-delà de mes limites lorsque l’autre me demande un conseil, bousculer ma paresse, bousculer mes habitudes, etc. Il exerce sa capacité à se poser des limites en accord avec la Vie.
Et en même temps, si la notion de Père en l’être évoque l’idée de limites, on n’est pourtant pas dans la volonté de maîtrise. Pour entendre la différence, il me semble que la limite naturelle s’impose suite à la confrontation à l’absence d’emprise tandis que la volonté de maîtrise est justement le résultat d’une volonté d’emprise sur soi et sur le monde extérieur.
Ma responsabilisation dans ce que je vis avec moi-même et avec l’autre est aussi affaire de limites : vis-à-vis de moi-même, je constate et accepte que je sois totalement responsable de ce que je vis (je l’ai désiré, l’ai construit). Lorsque je parle de responsabilité, je l’entends dans le sens où que je sois conscient ou pas encore de ce qui m’anime, j’ai les outils pour l’entendre, j’ai la possibilité de le travailler pour me rééquilibrer (notion de libre arbitre). Je suis donc responsable du choix d’utiliser ou non mon libre arbitre. Autrement dit : au sens de la Vie, il n’y a pas de distinction entre le conscient et l’inconscient, c’est sous cet angle que la responsabilité est envisagée.
Pour assumer ma responsabilité d’être, il m’est nécessaire d’avoir entendu la complémentarité des scénarios et ses conséquences : l’absence d’emprise, l’altérité. Sans cela, le discernement n’est pas possible. Vis-à-vis de l’autre, j’entends alors la réalité de mon impuissance. Si ce n’est pas le cas, je travaille le matériau. Cela passera par exemple, par l’analyse de mes désirs conscients et surtout inconscients, des scénarios intérieurs qu’ils entraînent et leurs conséquences, leurs expressions dans la réalité concrète.
Une des conséquences est que le Père va dans l’action avec une certaine légèreté au cœur : il y a un calme, une force tranquille, souple qui se vit. Quelle que soit l’action (professionnelle, personnelle, amicale, etc.), elle se pose de moins en moins la proposition binaire : « faire pour l’autre » ou « faire contre l’autre ». Petit à petit, la motivation à l’action est moins subordonnée à la présence d’une autorité extérieure ou à des préceptes introjectés[3].
Cette proposition pathologique est issue des principes indifférenciés que j’ai introjectés. Ces vues de l’esprit, ces stéréotypes sont déconnectés de la réalité objective. Les dépendances extérieures (supposées telles au départ) sont progressivement identifiées (observations et compréhensions). Des actions de changement sont acceptées et mises en œuvre. Les résultats plus ou moins heureux[4] m’apportent des indications, des hypothèses sur moi-même. Elles me permettent de construire des références souples et temporaires.
Il n’est d’ailleurs pas préjugé du résultat de l’action : il est accepté qu’il y ait une myriade de paramètres qui m’échappent[5], qu’il y ait impossibilité d’appréhender globalement les conséquences de mon action[6]. La vie est perçue comme une œuvre de construction de soi-même : l’être se vit dans la CCCP (Critique Constructive Continue et Positive[7]).
Le résultat de mes actions peut se formuler en « expérience », en hypothèse de vie. C’est l’autorité intérieure qui est progressivement construite et utilisée dans la vie quotidienne. Elle est le fruit d’une expérience personnelle : ce n’est pas un copié/coller de principes généraux déconnectés du concret, du présent.
Peu à peu, je construis ma propre vision du monde[8] au travers de mes expérimentations personnelles, des résultats que j’observe. Le Père sait pour lui, dans la limite de ses expérimentations personnelles, concrètes et de ce qu’il en fait. L’être s’individue.
Cette réflexion personnelle repose de moins en moins sur des références extérieures. Il n’est plus question de « faire parler les morts ». Se conduire en fonction de ce qu’a écrit tel ou tel figure d’autorité[9]. Progressivement, les références que je croyais extérieures sont régulées au concret. Ce résultat propose un nouveau départ : j’observe, j’accueille au présent, j’écoute en conscience et j’agis en conséquence…le cycle recommence…la construction de la conscience est progressive.
Lorsque c’est intégré : ça « transpire » dans mes actions. Au concret, si j’ai un travail à faire, la motivation et le plaisir sont là. Et cela même lorsque je n’ai aucun compte à rendre à quelqu’un. Un bon exemple pour moi, c’est le travail analytique : personne n’est au-dessus de mon épaule pour vérifier que je travaille, la qualité de ce que je produis. Que je le fasse ou pas, l’autre n’en a cure. Autrement dit, je m’anime pour moi.
Progressivement, par petites touches, j’aperçois ce que je suis profondément, je me reconnais. Cette fois, c’est avec mes propres yeux (S barré vs. S2). Dans une modeste mesure, progressivement, je sais un peu de ce que je suis. Construire le Père en moi, c’est construire une capacité à me reconnaître moi-même. Le regard au travers duquel je me vivais[10] est peu à peu remplacé par « voir la vie au travers de mes propres yeux ». On peut parler de recouvrer la vue, d’accouchement de moi-même, entre autres.
Pour moi, construire le Père en moi est un synonyme de construire de la « conscience », de «l’être », du « sujet ». On est dans une notion de globalité, de boussole qui permet à l’être de s’orienter. L’observation, l’écoute, l’acception/l’action et son résultat m’enseignent progressivement ce que je suis. Non seulement dans leur utilisation entre elles, mais dans ma relation à chacune[11]. De plus en plus, féminité et masculinité en moi se mêlent intimement, harmonieusement dans un équilibre dynamique.
Une des conséquences et que lorsque le Père s’exprime en moi, ma conduite est caractérisée par une forme d’autonomie. Le mot qui me vient est le mot anglais « standalone ». Je le traduis par : « qui se tient seul ». Je prends en charge mes besoins, mes supposés manques, mes vécus sur les différents plans (somatisations physiques, émotions/motivations, sentiments, idéologies).
Cependant, même si j’ai commencé à construire le Père en moi, si je ne me pose pas dans mes ressentis, dans l’observation, dans l’accueil, cet outil ne me sera pas accessible. En effet, dans cette démarche de construction : il y a une autre tentation, c’est celle de se reposer sur ses lauriers. Cela pourrait se résumer par : « bon, j’ai fait un travail, c’est suffisant. Je suis arrivé. Maintenant, je n’ai plus à me soucier de cela : ça fonctionne en continu, je peux passer à autre chose ».
Personnellement, je me vois plutôt dans un processus continu de construction : comme certains organes croissent durant toute la vie. Une fois ce processus enclenché, plusieurs choses m’apparaissent: la première est que si je m’arrête, il y a fort à parier que je vais être tiré en arrière par la force des engrammes (les images pathologiques qui m’animent en tant que membre de l’espèce humaine).
La deuxième est que construire l’outil n’est pas tout : il s’agit de choisir de m’en servir ! En d’autres mots, il y a une possibilité d’utiliser mon « libre arbitre » plus en conscience. Et une fois qu’il a été entendu, le choix de le suivre…ou non. Autrement dit, la conscience que je construis ne va pas réguler ma vie inconsciemment (!). Ma présence à ce que je fais à ce qui m’anime est nécessaire.
Si j’ai entendu mes intérêts dans la relation et que je choisis de suivre ce qui est utile à la Vie, alors l’altérité propose une forme d’égoïsme basée sur les ressentis profonds. Ils me permettent d’entendre au présent et au concret l’action qu’il y a à mener, ni plus ni moins. C’est un grand service de vivre dans un égoïsme en conscience. Un service que je me rends et que je rends à l’autre.
Cette construction propose une forme de tempérance. En effet, un alignement intérieur, tout en souplesse et en bienveillance, se construit. La volonté de convaincre l’autre, de le contraindre, de le tordre s’apaise peu à peu[12].
Il me semble que l’on peut parler d’exploits, d’héroïsme de l’être pour lui-même dans cette aventure en soi-même. Cela interpelle les mythologies. Elles proposent des supports très riches si je choisis d’en écouter le reflet en moi, de les considérer pour des aventures intérieures. C’est un réservoir immense qui peut aussi être vu comme la mise à l’écrit des perceptions humaines. Elle peut être vue comme une synthèse très dense, en même temps limpide (mais en l’état) depuis des temps reculés (« les prédécesseurs ») [13].
L’accueil, le constat de ce que je me vois faire, penser, imaginer, etc. requièrent une absence de jugement de valeur. Et même si après de longues, très longues années, il peut y avoir l’illusion qu’on va être « plus blanc que blanc », cela me semble une erreur de perception. Par nature, je reste attaché au terreau humain.
Les mêmes sentiments, les mêmes désirs continuent de jaillir à travers soi. L’ensemble de la nature humaine avec tout son potentiel de pathologie et de construction continue à s’exprimer. Un peu plus souvent, il y a simplement quelqu’un au volant, plus d’aiguillages et…une marche arrière qui fonctionne aussi. Rien n’a été éliminé.
En fait, de cette promiscuité, de cette intrication des processus pathologiques et constructifs, on peut alors entendre comment les formes de pathologie représentent le matériau de base pour la construction de l’être. Les résistances au changement peuvent donc être vécues comme autant de signaux pour déclencher l’effort, le plaisir de me construire.
Des écueils qui peuvent se présenter :
Au cours du travail de synthèse, différents écueils me sont apparus. Afin de conserver un certain fil conducteur dans le texte, ils ont été regroupés dans cette partie.
Au niveau de l’observation, il peut y avoir des tentations surmoïques. Si des jugements de valeur montent, de plus en plus, je privilégie la neutralité et la bienveillance envers ce que je me vois faire, penser, imaginer, etc. L’imaginaire projeté sur la situation peut aussi polluer la perception des faits s’il n’est pas remis à sa juste place. Sans cela, il y a un risque de freiner ou de bloquer l’action.
Il en sera de même si je suis pris dans les émotions. Il s’agit ici des émotions dites « fortes », mais aussi, et surtout de leurs cousins symboliques : les désirs. Ceux-ci, comme l’aimant qui attire la limaille de fer, va attirer certaines perceptions, une certaine façon de percevoir la réalité. Cet angle particulier, sous le sens du désir, va exclure une grande partie du matériau qui se propose dans l’évènement.
Un autre obstacle pourrait être celui-ci : lorsque je suis pris dans le feu de l’action, le champ de perception est très concentré, le périmètre d’attention très étroit. Il va sans doute me manquer le minimum de recul pour percevoir ce que je vis. Il sera difficile d’entendre quoique ce soit dans cette agitation intérieure. Le calme intérieur m’est nécessaire. Il est à renforcer en continu.
Dans d’autres cas, j’ai compris ce que j’ai à faire, mais je ne le fais pas. Évidemment, je me pose la question : pourquoi ne pas bouger si j’ai compris ? Pourquoi cette forme d’inhibition d’action ? De castration ?
La décision implique de fait d’accepter la perte de bénéfices (secondaires). J’entends « bénéfice » le gain reçu (ou supposé tel) pour un investissement. Dans le fait de ne pas bouger, le prix à payer peut-être supposé minime. Du moins son importance est minimisée. Il est considéré comme sans importance.
Un exemple concret : mettons que je sois dissipé en classe. L’attention des professeurs, des parents est interpellée. Les autres élèves, les frères et sœurs, les parents focalisent alors leurs énergies sur l’enfant[14]. L’élève a donc fait un investissement supposé minime et il en espère un gain, un bénéfice secondaire : la préférence de ceux qui l’entourent, entre autres. L’enfant quand il ne perçoit pas la complémentarité des scénarios peut jouir de cette supposée emprise.
La compréhension de ce qui est en train de se jouer, l’appréhension du scénario ne peuvent donc se faire qu’avec une observation de mes vécus. Mais observation ne rime pas avec hypervigilance : on parle d’accueil, de relevé des faits, comme un chercheur dans son laboratoire intérieur. Il n’y a pas de volonté de tout saisir, de tout noter, de tout voir. La « fréquence radio » (l’état d’être) n’est pas celle de la volonté de maîtrise.
Ce relevé peut se heurter à une autre résistance : celle de rejeter la responsabilité de ce que je vis sur l’autre. Au-delà de ça, il m’est très facile de « voir ce qui anime l’autre ». C’est le refus de récupérer ce que je perçois chez l’autre[15]. Je m’explique : je me vois une tendance à rejeter le fait que je prête à l’autre des intentions. Ce mécanisme s’il n’est pas cadré m’empêche de récupérer bon nombre d’observations sur ce qui m’anime.
Par exemple, l’autre se conduit d’une certaine manière et cela me heurte. Ce n’est pas la réalité de la conduite de l’autre qui doit être le point de focalisation, mais ce que je vis face à cela. La mécanique interne est éclairée à chaque instant pour autant que je relève mes vécus (sentiments, émotions, souvenirs, principes touchés, etc.).
Au vu des nombreuses fois où j’ai cru que l’autre était dans le même rêve que moi alors que ce n’était pas le cas, mon surmoi accepte que la projection existe. Cependant, il est aussi proposé que la projection soit permanente et même qu’il ne peut y avoir que de la projection.
Autrement dit, je ne peux avoir accès à ce qui anime l’autre, je tourne en vase clôt. Cela s’exprimera par des formulations comme les interdits freudiens, l’altérité, la castration primaire, etc. Dès lors, je ne cherche plus à changer l’autre puisque c’est impossible (« il n’existe pas »). Le Père ne se préoccupe pas de l’autre[16].
Et là, j’y vois aussi un nouvel obstacle potentiel : celui de rester bloquer sur cette question : « tout n’est-il que projection » ? Pendant ce temps, le travail de construction ne se fait pas. Cette question n’a peut-être pas à être résolue dans la mesure où je m’intéresse à l’écho que l’évènement trouve en moi.
Il arrive souvent que des états d’âme soient présents, que je bafouille dans mes limites lorsqu’il s’agit de mener l’action. Le but est alors de me prendre en charge a posteriori : je travaille à faire la part des choses. Autrement dit : je m’entends et suis capable de poser des limites à mon surmoi, ou a le moins, de travailler le matériau a posteriori. Le but est de progressivement distinguer la réalité du vécu, l’imaginaire qui est en jeu, ainsi que les préjugés, les stéréotypes qui gouvernent ma perception de l’évènement.
Lorsque l’action est menée, un résultat se propose. Le résultat est peut-être perçu comme un échec. Sur cette perception, le surmoi pourrait proposer d’en rester là ! Autrement dit, la capacité à prendre du recul, à persévérer, à s’encourager (la féminité profonde) est requise pour continuer à avancer devant ce mirage surmoïque. Le mouvement naturel d’essais/erreurs n’a que faire des jugements de valeur, des vérités figées, des sentiments d’échec. C’est le mouvement qui compte !
Il m’est nécessaire d’entendre et reconnaître en moi que je me suis trompé. Autrement dit, que mes perceptions étaient faussées en totalité ou en partie !
Si je me vois dans l’erreur, cela n’implique pas que j’ai à le dire à l’autre. Si des jugements de valeur montent, je ne m’y soumets pas ou alors le minimum de temps. Autrement dit, si les processus intérieurs pathologiques prennent la main, je pratique au plus vite des exercices de recentrage pour sortir de cette hypnose.
Cette œuvre intérieure n’exclut pas l’autre ni le groupe. Quoiqu’il arrive, de par nature, je demeure au milieu de mes petits mois et vouloir évincer leurs reflets extérieurs est illusoire et hautement mortifère. Cela me prive du vis-à-vis indispensable à me construire[17].
On peut voir dans ces mécanismes une résistance au changement mise en place par les instances surmoïques. Les considérer sous cet angle me permet de progressivement prendre de la distance avec ceux-ci, de revenir à ce qui est important : me construire au travers de ce qui se propose au jour le jour. Il s’agit de « faire feu de tout bois ».
Rapport à l’autre
Dans le rapport à l’autre, il s’exprime avant tout le reflet de ce que j’ai construit ou non à l’intérieur. Ce que le Père reflète à l’extérieur est avant tout vécu, intégré en l’être. Il a une certaine habitude de la communication, du relationnel avec lui-même.
Si j’ai construit de la conscience et que je m’y positionne, je mets à disposition le résultat de mon expérimentation, ma « sagesse », si on entend celle-ci comme des hypothèses de vie temporaires et non des vérités absolues, des signifiants creux.
Sans mesure avec les paroles, l’état d’être s’exprime à travers moi. La rencontre de cet état d’être marqué par le travail peut susciter des interrogations en l’autre. Il peut, « s’il le désire », se donner une opportunité de « tirer le fil » en lui.
C’est cela qui est partagé, apporté dans la relation. D’ailleurs, il me semble que la rencontre de deux états d’être (et ce que je peux en faire pour moi) est la seule chose à considérer d’importance.
Sur le plan de l’échange, si et uniquement si l’autre le demande, je lui propose ce qui me paraît être des ouvertures dans son référentiel. Je ne prends pas celles-ci pour LA vérité[18]. De plus, le langage utilisé est adapté aux chemins privilégiés de communication de l’autre.
Cela n’est possible que dans un lâcher-prise avec la volonté d’emprise. Il n’y a donc aucune attente vis-à-vis d’éventuelles compréhensions ou progrès de l’autre. Si ce n’est pas le cas, la neutralité dans la relation n’est plus présente. Il est alors nécessaire de travailler la volonté d’emprise sur l’autre. Elle s’exprime entre autres par la recherche de complicité, le sentiment d’impuissance, les inhibitions d’actions qui m’animent, etc.
Ayant expérimenté la force et la puissance de l’inconscient profond, je vis une confiance dans les capacités de l’autre à s’en sortir. D’ailleurs, au-delà de la notion de confiance, il s’agit d’altérité : la réalité que je ne peux rien faire pour l’autre. Ainsi, le Père, le sujet lorsqu’il s’exprime dans l’être, a commencé à intégrer la notion d’altérité et il lui est naturel de respecter le chemin de vie de l’autre.
En d’autres mots, la notion d’emprise est déjà bien travaillée. Contrairement au « féminin perverti dans l’être », le Père se positionne dans une neutralité bienveillante vis-à-vis de l’autre. Le désir de l’ensemencer est hors sujet.
Conclusion :
La construction du père correspond à une intégration en conscience de la Mère et du Père en moi. Pour se faire, il me faut les récupérer tous les deux (féminité et masculinité profondes). À cela doit s’adjoindre leur utilisation harmonieuse où elles sont intimement liées.
Cette démarche en globalité propose une forme différenciée de percevoir la vie (une réflexion personnelle). L’autorité des processus inconscients (surtout pathologiques) est progressivement régulée au présent et au concret. Une autorité intérieure, basée sur la prise en charge des processus inconscients (pathologiques et naturels) se fait jour.
Loin de faire décoller l’être, ce travaille l’ancre de plus en plus au présent et au concret. Rien de sa psyché n’est éliminé, rejeté. Tout demeure, mais les choix se font plus en conscience : le mariage des opposés commence à s’opérer en lui.
Cet état intérieur (état d’être), c’est la seule chose qu’il met à disposition dans la relation. L’autre peut s’en servir pour lui-même (pour se construire), s’il le désire. C’est lui qui fait le boulot. Cet égoïsme en conscience : connaître ses intérêts, tous ses intérêts dans la relation, constitue sans doute la seule aide efficace mise à disposition de l’autre.
[1] Pour le surmoi.
[2] Quel que soit son plan d’expression : physique, psychique ou comportemental.
[3] Des règles de conduite intériorisées au contact de la famille…humaine (la Mère).
[4] CCCP
[5] Qui échappent à mes limites d’être humain.
[6] On est dans la notion de castration primaire.
[7] Copyright IESCA J
[8] De la conscience, de l’être
[9] De ce que j’en ai compris, de ce que j’y ai projeté perd de son sens
[10] Celui de la Grande Mère.
[11] 1- suis-je capable plus ou moins maladroitement de parcourir un cycle complet ? 2- comment est-ce que j’utilise ma capacité d’observation ? Mes compréhensions ? Etc.
[12] Cependant, elle ne disparaît jamais !
[13] La simplicité provient du fait que l’on est dans le domaine de la symbolique.
[14] Quel que soit son âge (enfant ou adulte supposé)
[15] Refus de la projection
[16] Cela interpelle la notion suivante : « la première chose : ne pas nuire à l’autre »
[17] Je parle de l’utilité de l’autre en tant que support de projection.
[18] Pas comme une vérité universelle qui serait applicable à l’autre et en dehors de laquelle il n’y aurait pas de salut